Que
signifie aujourd'hui le fait d'« aller au cinéma »
? Concrètement, c'est accomplir un rituel qui consiste à
sélectionner un film dans le grand marché du
cinéma, payer une certaine somme pour accéder à
une salle qui est située généralement dans
un grand centre urbain, et s'enfermer dans cette salle pendant
environ 1 h 30. En dehors de ce rituel bien rôdé.
Point de cinéma.
L'origine
de ce rituel est assez facile à trouver. Jusqu'à
une date récente, les films professionnels et les outils
de diffusion coutaient cher. De plus, la diffusion privée
ou publique de films était rigoureusement contrôlée
par les pouvoirs publics. Le cinéma était donc
l'affaire exclusive des professionnels. Quelle a été la conséquence de
cette professionnalisation du septième art ? La mort des petits cinémas de campagne, des projections de
plein air, des projections amateurs et des projections
conviviales. Et inversement, le développement tentaculaire
d'un marché du cinéma centralisé, où
des grosses firmes produisent des films standardisés qu'elles distribuent à des consommateurs passifs. Encore
aujourd'hui, dans un tel système, aller voir un film sans
s'approvisionner sur le marché des films; ou sans absorber
les produits formatés recrachés par les canaux de
circulation qui sont contrôlés par les pouvoirs
publics (la télévision publique); est soit illégal,
soit impensable. Et il y a d'ailleurs un cortège
impressionnant d'outils juridiques mis à la disposition
des professionnels pour empêcher toute forme de projection
anarchique. Par exemple : entrées payantes, interdiction
de diffuser un film sans l'autorisation de l'auteur, demandes
d'autorisation pour les projections de plein air, etc.
Seulement
aujourd'hui, le hic, c'est que le rituel persiste, mais les
causes qui l'ont engendré ont disparu. Voyons pourquoi en
quelques points.
Cinéma
libre
Depuis
peu, le développement des réseaux ouverts et la
dématérialisation de la culture, ont conduit au
développement de ce que l'on appelle la culture libre.
L'éclosion de cette culture libre a des conséquences
profondes sur tous les domaines de la culture. Elle permet
notamment le développement potentiel d'un cinéma
libre, ouvert, interactif et indépendant.
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Libre.
Grâce aux open movies, tout
le monde peut diffuser, modifier et partager des films en toute
liberté. Conséquence : les open movies peuvent
circuler partout facilement et gratuitement. Fini les canaux de
circulation étanches. Plus besoin de recourir aux films
professionnels (payants) ou de demander des autorisations de
diffusion.
-
Ouvert.
Fini les temps où les grosses firmes et les pouvoirs
publics contrôlaient les outils de diffusion et les moyens
de diffusion. Que ce soit par des dispositions légales,
ou par la possession des outils techniques (projecteurs,
bobines, salles). Aujourd'hui, n'importe qui peut organiser des
projections d'open movies en toute légalité et en
toute liberté.
-
Interactif.
Au moins dans le principe, on peut s'affranchir du statut de
consommateur passif. Par exemple, en participant à la
programmation des projections et au tournage des open movies, et
en modifiant des open movies grâce à des outils
d'édition de vidéos.
-
Indépendant.
Produire, diffuser et regarder un film, pour peu qu'on le fasse
bénévolement, ne coûte plus grand chose.
Fini le temps des pellicules hors de prix. Aujourd'hui, avec de
l'imagination et de la motivation, n'importe qui peut faire un
bon film, un bon documentaire, une bonne vidéo, et en
plus, pour une somme modique !
Toutes les
conditions sont donc remplies pour favoriser l'éclosion
d'un véritable service public cinématographique
convivial, indépendant et ouvert, et ceci même dans
des endroits complètement reculés. D'où un
intérêt évident : faire revivre le tissu
rural grâce à des cinémas de campagne
anarchiques, et aussi les banlieues moribondes. Mais comment, en
tant que citoyen moyen, participer à ce vaste mouvement du
cinéma libre et ouvert ? Voilà au moins deux
solutions.
Créer
son propre cinéma
Vous en
avez toujours rêvé. Eh bien, faites-le ! Créez
votre propre cinéma et organisez des projections
conviviales. C'est à la portée du premier venu. Il
vous suffit d'avoir,
-
Un
lieu. C'est simple. Il y a la rue, les champs, la plage,
etc. Mais l'inconvénient de ces lieux publics, c'est
qu'il faut en général des autorisations. Alors,
autant le le faire chez soi, dans sa maison ou dans son jardin.
Ca n'a rien de compliqué. Contentez-vous d'ouvrir les
portes de votre résidence à ceux qui veulent
assister aux projections. Point. Cela ne remet pas en cause la
sacro-sainte propriété privée, puisque vous
partagez ce qui vous appartient, seulement quand vous en avez
envie, et seulement quand ça ne vous prend pas la tête.
Sinon, tout le monde dehors ! Ouste ! Du balai ! Mais inviter
des gens chez soi, jusqu'à preuve du contraire, ça
n'a rien de particulièrement désagréable.
-
Les
outils, la projection, les films.
Le manuel du
projeteur amateur vous explique toutes les combines pour
arriver à faire une bonne projection amateur. En sachant
qu'aujourd'hui, on peut trouver des open movies qui commencent à
être de bonne qualité.
-
La
motivation. Ce n'est bien sûr pas une obligation, mais
faire des projections marchandes d'open movies, même si
c'est avec une éthique d'"équitabilité",
ou bien des projections dans un club restreint de cinéphiles,
ça n'a pas grand intérêt. Evidemment, rien
ne l'empêche... Mais bon, ça ne sert à rien
puisqu'on revient à du cinéma professionnel. Donc,
si vous voulez vraiment vous bouger les fesses, organisez plutôt
des projections conviviales. Petit rappel. Une projection
conviviale est :
-
En
libre accès. Donc, ouvrez les portes et ne pratiquez
pas de discrimination à l'entrée (pas de
projections payantes). Précision, le libre accès
n'interdit pas au propriétaire du lieu de demander des
garanties légales à l'entrée du cinéma.
Par exemple, l'obligation de signer un papier à l'entrée
du type : "j'accepte de regarder des vidéos
présentant un contenu choquant", ou du type "en
entrant, j'accepte de ne pas faire porter la responsabilité
sur les organisateurs en cas de soucis", ou encore,
"l'entrée est ouverte, mais à condition de
ne pas avoir un comportement violent envers les autres
participants". Un filtrage minimal n'est donc pas à
exclure. Tant qu'il ne conduit pas à une discrimination.
De toute façon, vu les problèmes de
responsabilité absurdes qui incombent au proprio ou à
l'organisateur d'une soirée (merci nos juristes...), on
n'a pas toujours le choix... Parce qu'organiser une soirée
sans vouloir faire de profit, ne signifie pas non plus qu'on
est prêt à encaisser n'importe quel coût et
désagréments lors de la soirée. Cela va de
soi.
-
Ouvert.
La programmation, le choix des films, ne vous sont pas
réservés, pas plus qu'ils ne sont réservés
à une élite ou à un groupe fermé.
Tout le monde peut participer à ces activités.
Cette caractéristique est essentielle pour la raison
suivante : le libre-accès sert souvent à
faciliter la diffusion de films de propagande (religieuses,
politiques) ou à certains artistes qui veulent faire la
promotion de leurs oeuvres (un
exemple). Le problème dans ce cas, c'est que le
libre-accès n'est pas vraiment cool, puisqu'il vise à
faire de la promo ou à endoctriner. Par chance,
l'ouverture des projections permet d'éviter ce genres de
dérives. Rien n'empêchant, au demeurant, que
l'ouverture soit tempérée par des mécanismes
de contrôle collectifs et démocratiques.
-
Non
policée, cool, sans prise de tête.
Y'a pas de recettes miracles, il faut juste se débrouiller
pour que les snobs de centre-ville (un
exemple) ne fassent pas leur loi dans le cinoche.
Voilà.
Donc, avec des moyens dérisoires, vous pouvez redynamiser
votre bled de campagne, ou vous faire de bonnes petites soirées
de banlieues pépères. La Dolce Vita.
Réaliser
un film de manière ouverte, collaborative et horizontale
Soyons
honnêtes. Les bons open movies, il en existe, mais dans
l'ensemble ils demeurent encore trop souvent d'une qualité
assez moyenne. Au moins en ce qui concerne les effets spéciaux
et le jeu des acteurs. Ca commence à s'améliorer,
mais bon, ça reste quand même un peu limite. Ca ne
rivalise pas avec un bon Star Wars. Qu'à cela ne tienne.
Il faut commencer à s'y mettre, et à faire de bons
open movies amateurs. Il est important de préciser
amateur, car un open movie amateur n'a rien à voir
avec un open movie professionnel. Et un open movie
professionnel, ça craint. Pourquoi ? Eh bien parce que
dans un futur hélas peut-être assez proche, il se
pourrait fort bien que la production d'open movies soit de plus
en plus le fait de professionnels qui se rémunéreraient
de manière assez sournoise (publicité dans les
films, subventions, etc.). Ca, c'est le truc à éviter
absolument. Car sinon, envolée la convivialité. La
production de films serait à nouveau professionnalisée.
Pour éviter cela, il faut d'ores et déjà
mettre en place des projets de réalisation de films qui
aient la particularité d'être horizontaux, ouverts
et collaboratifs. Certes, ça n'est pas simple, mais c'est
faisable. Voilà quelques pistes pour y arriver.
-
Utilisez
des outils collaboratifs : wikis, listes de discussion,
forums, votes, assemblées, etc., pour faire en sorte que
la réalisation du film devienne véritablement
collaborative et horizontale. Par exemple, pour créer le
script, faites-le grâce à un wiki.
-
Gardez
le projet ouvert. N'importe qui doit pouvoir entrer dans le
projet : pas de barrières à l'entrée. De
plus, personne ne doit pouvoir s'approprier le projet. Et donc,
il n'y a pas de représentant officiel du projet.
-
Laissez
s'exprimer les désirs et les contributions de chacun.
Celui qui arrive dans le projet contribue comme il veut, où
il veut, si il veut, quand il veut. Et il peut même monter
son propre projet dans le projet. Pas de division du travail
imposée. Pas de planification des tâches. Chacun
est maître de son destin ! Revers de la médaille,
un participant du projet ne peut obliger un autre participant à
agir selon ses vues.
-
Rester
indépendant. Rechercher un financement, c'est
s'engager dans l'engrenage : il faut une structure juridique, il
y a des problèmes entre ceux qui contrôlent les
tunes et les autres, et plein d'autres désagréments.
Donc, pour éviter ce genre de galères, le
principe, c'est que chacun amène ses propres
contributions monétaires et matérielles au projet.
Evidemment, il y aura forcément divers problèmes
du type, "c'est ma caméra, j'en fais ce que j'en
veux". Mais bon, mieux vaut ces légers problèmes,
bien humains, qu'une grosse prise de tête légale et
kafkaïenne... De plus, gardez à l'esprit que rien ne
vous empêche d'apporter des outils publics au
projet. C'est à dire des outils dont vous abandonnez, au
moins temporairement, la propriété, et qui sont
utilisés dans le projet, mais sans que personne dans le
projet ne puissent se les approprier individuellement... Autre
point important. Essayez d'utiliser des outils ouverts, des
formats ouverts, d'être indépendants au niveau de
votre accès à Internet, d'héberger
vous-même votre projet, etc. C'est toujours plus sympa
d'être indépendants et de pas engraisser les
actionnaires.
-
Ne
pas essayer de trop organiser. Mieux un gros foutoir qui
avance, qu'un projet planifié qui stagne. Ou bien, mieux
vaut un projet libre qui capote, qu'un projet qui avance sous la
pression insupportable de quelques tyranneaux de pacotille ! Car
il est clair que le plus craignos dans un projet, ou dans un
lieu de vie, ce ne sont pas les gens bordéliques, mais
les donneurs d'ordres et les maniaques qui veulent tout
ranger ! Un donneur d'ordres, c'est très pénible,
et ça n'a surtout rien à faire dans un projet
ouvert et horizontal. Si il aime commander, ranger ou faire la
morale, il va dans une structure fermée, qui sera
sûrement nettement mieux adaptée à ses
dispositions psychologiques (et par chance, il n'a que
l'embarras du choix).
-
Faire
ça bénévolement et de manière
démocratique. La condition nécessaire pour le
volontariat, c'est que tout le monde soit à la même
enseigne, puisse participer comme il en a envie et que personne
n'ait à subir des ordres sans arrêt. Bon, le
problème, c'est que dès qu'il y a une place dans
le projet qui confère quelques menus revenus, ça
fout tout en l'air. Notamment parce que celui qui est payé
va pas trop apprécier qu'on lui pique sa place. Et puis
ça crée des tensions. Cela dit, ça
n'empêche pas que si un participant trouve une combine
pour se faire rémunérer indépendamment du
projet, tant mieux pour lui. Y'a pas de mal à ça.
Mais ça doit être complètement indépendant
de sa participation au projet. Et bien entendu, ça ne
devrait pas compromettre la continuité du projet.
-
Le droit à
tenir secrètes ses intentions. Du moment que
quelqu'un participe au projet correctement, c'est à dire
sans chercher à imposer sa vision des choses aux autres
et sans tenter de saborder le projet, qu'importe ses intentions.
Il n'y a pas à chercher trois plombes pour savoir ce qui
le motive, quelles sont ses intentions et quels bénéfices
directs il compte retirer de sa participation au projet... Ca
peut être pour se faire des tunes indirectement (tant
mieux pour lui), pour apprendre la vidéo (ben oui),
ragasser (un célibataire...), gagner au loto (ça
aide), découvrir le sens de la vie (enfin), convaincre
les autres participants au projet que la terre est ronde (alors
que tout le monde sait qu'elle est plate), peu importe. Ca ne
regarde que lui.
Avec tout
ça, merveilleux projet que la réalisation d'un open
movie.
Il
faut tous s'y mettre !
Tout cela
est bien beau, mais à quoi ça sert de faire du
cinéma convivial ? Dans l'absolu à rien. Mais comme
tout est relatif...
Tout
d'abord, c'est sympa à faire. Réaliser des films et
des projections, c'est un bon passe-temps. Ca vaut bien un
footing ou une partie de belote.
Ensuite,
c'est sympa pour les autres qui peuvent profiter gratuitement des
projections gratuites ou des open movies.
Enfin, ça
s'inscrit dans un choix de vie : 1. continuer à
s'embourber dans la mélasse de la société
industrielle, en essayant de réussir dans une
profession et en consommant
les produits que veulent nous refourguer les professionnels,
2. tenter de s'en sortir. Choix de vie qui, en ce qui concerne le
cinéma, n'est pas sans conséquence, puisqu'il
conduit soit au développement massif du cinéma
convivial, pour le plus grand bonheur des cinéphiles, des
banlieusards et des campagnards, soit à la mainmise des
professionnels sur le cinéma, pour le plus grand bonheur
des actionnaires, des gens cultivés et des bouseux des
centre-villes. Car le problème c'est qu'à l'heure
actuelle, si il existe encore si peu de projets d'open movies et
de projets de cinémas conviviaux, c'est parce qu'il y a
encore une majorité de personnes de la vieille époque
qui ont fait le choix de réussir dans le cinéma
professionnel. Ils continuent de croire que ce qui est "fun",
c'est la réussite sociale et économique.
Alors,
tournons-nous tous ensemble vers le cinéma convivial. Car
plus on sera à en faire, plus ce cinéma décollera,
et plus on donnera tort à ceux qui vénèrent
la réussite professionnelle comme d'autres ont vénéré
leurs moaïs. Il va forcément y avoir un effet boule
de neige. Peu à peu, des open movies vont se créer,
se développer, se diffuser un peu partout et vont
concurrencer le cinéma professionnel. Et dans quelques
temps, plus personne ne songera à télécharger
illégalement des films sur Emule, tout simplement parce
que les films pourront légalement être téléchargés,
modifiés et échangés par n'importe qui. Et
la mainmise des professionnels sur le cinéma ne sera alors
plus qu'un vieux souvenir.
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