Plus y'a d'rues, plus y'a d'films fonctionne
selon le principe d'un réseau ouvert. Certes, mais... quesaquo
oune réseau ouvert ?
Eh ben c'est pas compliqué.
La structure fermée, c'est pas génial...,
Commençons par le commencement. Quand des personnes désirent
réaliser une activité quelconque, mettre en place un projet
lambda, faire un festival X ou Y, en général, ils décident,
disons dans 97 % des cas, de le faire à l'intérieur d'une
structure fermée : association, organisation, entreprise,
fondation, club, secte, etc. Ca veut dire qu'ils vont décider
de faire un truc organisé, hiérarchisé et fermé,
où consommateurs et producteurs seront chacun de leur côté.
En gros, une structure fermée.
Une structure fermée, ça répond à au moins
un des deux critères suivants.
- C'est hiérarchisé. Tout en haut, il y a le grand
chef suprême, qui prend parfois l'allure d'un comité
d'experts, d'une bande de joyeux lurons ou d'un petit groupe de dirigeants.
Ce grand chef suprême (gloire à lui) donne des instructions
à ses caporaux-chefs juste en dessous de lui, qui doivent
les exécuter sans trop discuter (sinon qu'ils aillent voir ailleurs).
Ou encore, autre cas, il sélectionne de manière impitoyable,
les contributions que lui envoie les gentils bénévoles,
afin de garder celles qui lui plaisent le plus - ca, c'est le cas du
label, de la maison d'édition, de l'association informelle, etc.
Les caporaux-chefs ont différents noms. On les appelle des modérateurs,
des cadres, des administrateurs, des contre-maîtres, etc. Parfois,
dans les associations très informelles comme les collectifs,
ce sont juste les copains du leader. Ils sont en général
supers fiers de leur statut, peut-être même d'avantage que
le leader. Pour faire appliquer les ordres du grand chef suprême,
les caporaux-chefs donnent des ordres aux petits pions qui sont
bien obéissants et conciliants (sinon qu'ils aillent voir ailleurs).
Parfois, on donne le droit à ces petits pions d'élire
leur grand chef suprême, mais ça ne change pas grand chose
à l'affaire. Ces petits pions dociles s'affairent alors à
produire un truc, qui est consommé par des consommateurs
passifs et obéissants (sinon qu'ils aillent voir ailleurs).
- C'est fermé de partout. D'une manière ou d'une
autre, pour rentrer dans la structure, c'est pas évident. Parfois,
la fermeture est assez traître. C'est à dire que vous pouvez
rentrer comme vous voulez dans l'association, mais il faut rester à
sa place, commencer par un stade de petit pion, et ne pas trop l'ouvrir.
En gros, la structure est ouverte pour les petits pions, tant qu'ils
ne prennent pas de décisions. Car pour réaliser leur petite
production tranquillement, la bande de joyeux lurons décide dans
99,99 % des cas, de fermer les portes de la structure aux estrangers
(c'est à dire ceux qui ne font pas partie de leur structure),
et bien souvent, de vendre une partie de leur production pour pouvoir
continuer à pratiquer leur activité tranquillement. Souvent,
ils le font car ils n'ont pas vraiment le choix. En effet, ça
leur sert à s'acheter des trucs qu'ils ont pas le temps de produire
eux-mêmes, à cause du temps qu'ils perdent à faire
marcher leur structure fermée. En fait, si nos joyeux lurons
laissaient les portes ouvertes, n'importe qui viendrait piocher dans
leur caisse, ou prendre des décisions à leur place, ce
qui les énerverait probablement.
Généralement, comme ils mettent l'argent en commun au
sein de la structure fermée - en fait, ce sont des communistes
-, ça crée pas mal de problèmes de répartition.
Le cas standard, c'est : le grand chef suprême a beaucoup d'argent,
de gloire, de célébrité et une grosse voiture de
fonction. Les petits pions ont beaucoup de motivation, de quoi se nourrir,
se loger, se vêtir et donner du travail aux institutions qui les
encadre (police, médecine, école, etc.). Voilà,
c'est pas plus compliqué que ça. Ah si, de temps en temps,
pour permettre à tout le monde d'avoir du boulot, et pour éviter
que tout le monde se marche sur les pieds, on crée des statuts
bien différenciés au sein de la structure. Untel s'occupe
de la programmation, l'autre du transport et un autre de la projection
proprement-dite. Du coup, ça fait un truc un peu moins pyramidal,
mais tout aussi rigide...
...le réseau ouvert, c'est vachement mieux...
Le cas standard, c'est la structure fermée. Mais ce petit groupe
de gens sympas peut aussi décider - par exemple, après
avoir lu ce texte - de s'organiser sur le principe d'un réseau
ouvert. Le réseau ouvert, c'est l'inverse d'une structure
fermée. C'est désordonné, peu organisé,
horizontal et ouvert, et consommateurs et producteurs peuvent se mélanger
dans un gros bric à brac.
En gros, un réseau ouvert répond aux principes suivants
:
- C'est un réseau. C'est le minimum ! Un réseau, ce
sont des gens, des associations, des structures fermées (eh oui
!), mais aussi des chèvres, des ânes et des oursins, qui
sont reliés à un moment ou un autre par quelque chose
qu'ils ont en commun. C'est à dire qu'à un moment
ou un autre, ils s'échangent quelque chose : idées, projet,
matériel, histoires drôles, histoires tristes, montres
rolex, porsche, stylo bics, etc. Bien souvent, ce qu'ils ont en commun,
c'est tout simplement de pratiquer la même activité en
suivant une idée commune. Mais il y'a bien eu échange,
car à un moment ou un autre, ils ont échangé l'idée.
Admettons par exemple qu'ils pratiquent des projections ouvertes durant
le Festival International du Film de La Rochelle - qui soit-dit en passant,
est un très bon festival. Mais je prends cet exemple complètement
au hasard.
- C'est un réseau ouvert. On pourrait définir un réseau
ouvert ainsi. Ce qu'un membre du réseau peut faire, n'importe
qui peut le faire, et donc un autre membre du réseau peut le
faire. Ou du moins, le réseau tend vers cet idéal.
Par exemple, si il y a du matos pour faire des projections, on essaie
de le faire circuler dans le réseau, et pas de le monopoliser.
Autre exemple, si le projeteur peut assister gratos aux projections,
tout le monde peut le faire. En gros, tout le monde est dans le même
panier. La base, c'est l'horizontalité. Celui qui souhaite participer
au réseau ouvert ne rencontre pas de barrières pour le
faire, comme il en rencontrerait dans une structure fermée. Personne
ne lui donne d'ordres, personne ne l'oblige à adhérer
à quoi que ce soit, personne ne lui dit d'aller voir ailleurs.
Mieux, il fait ce qu'il a envie, il contribue comme il le désire,
il s'en va si il en a marre. C'est un peu l'auberge espagnole, chacun
trouve dans le réseau ce qu'il y apporte et ce que les autres
ont déjà apporté. Revers de la médaille,
un membre du réseau doit se débrouiller tout seul pour
apporter sa contribution et il n'est pas certain que sa contribution
au réseau intéresse grand monde.
...parce qu'un réseau ouvert, ça se régule
tout seul...
Tout cela est bien beau, mais comment ça se passe si un gugusse
prétend appartenir au réseau alors - exemple particulièrement
bien trouvé - qu'il veut transformer le réseau ouvert
de projections, en un centre d'apprentissage du brossage de caniche,
et que les projections ne font pas partie de ses préoccupations
premières ? Eh bien, le principe, c'est qu'un réseau ouvert,
comme chacun est libre de suivre qui il veut comme il veut, obéit
à deux lois : 1. la loi de la contribution, 2. la loi des grands
nombres.
- La loi de la contribution. N'importe qui peut monter son projet,
et avoir la chance de le voir prospérer si il arrive à
convaincre un minimum de personnes qui vont le suivre et lui apporter
ses contributions. Sinon, son projet tombe à l'eau et il reste
tout seul avec sa brosse à caniches. Snif !
- La loi des grands nombres. Comme la plupart des gens sont
là pour des projections, il y a peu de chances que son projet
de brossage de caniche les intéresse. Donc, quoiqu'il arrive,
on ne s'écartera pas trop de la finalité première
du réseau : faire des projections. Et donc, pas besoin d'exclure
les déviants, ou de chercher à faire obéir les
récalcitrants.
Il n'empêche, notre pro-caniche isolé peut continuer à
faire partie du réseau, tout en brossant son caniche. Qui sait,
un jour peut-être fera-t-il école. Et on n'envisagera alors
même plus d'assister à une projection sans brosser son
caniche - ce qui risquerait de provoquer de graves problèmes
à cause du boom démographique des caniches, mais bon,
c'est un autre problème... Car à la différence
d'une structure fermée, chacun est libre d'apporter sa contribution
au réseau, comme il en a envie, même si celle-ci ne correspond
pas à la vision du grand chef suprême (gloire à
lui) ou aux caporaux-chefs - car de toute façon, il n'y a pas
de grand chef suprême ou de caporal-chef - ou à celle de
la masse des petits pions.
Ajoutons un autre moyen de régulation des réseaux ouverts.
Admettons que ça marche pas fort entre deux partenaires d'un
même projet, ou entre deux contributeurs qui sont en conflit.
Eh bien, c'est pas compliqué, chacun dit bye-bye à l'autre,
et monte son propre projet. Comme ça, plus personne ne se marche
sur les pieds, et tout le monde est content.
...et puis ça a plein d'autres avantages.
Qu'est-ce qu'un réseau ouvert apporte de plus qu'une structure
fermée ? 1. Ca pose moins de problèmes légaux qu'une
structure fermée. Car le réseau ouvert n'est pas une personne
morale. Il n'a pas de responsabilité. Chacun est responsable
individuellement de ce qu'il fait. 2. Au moins, on peut faire ce qu'on
a envie. Il n'y a pas de grand chef suprême, et surtout de caporaux-chefs,
pour prendre la tête. Mieux, un réseau ouvert, c'est une
collection de grands chefs suprêmes indépendants. Dans
le cas de projections ouvertes, chacun peut donc répertorier
les sites qui l'intéresse, faire sa petite cuisine, donner sa
propre définition du réseau, et ça c'est quand
même plus sympa. 3. Ca permet de laisser émerger toute
sorte d'idées. On peut laisser tout ça en bordel, c'est
aussi bien. Le réseau part dans tous les sens, chacun fait n'importe
quoi, personne ne comprend rien à rien, et c'est aussi bien comme
ça. 4. A chacun de voir.
Ben voilà.